J’ai 60 ans et j’ai perdu mes parents il y a quelques années. Aussi, je n’ai pas été surpris quand Fernanda ma vieille amie de Palerme, m’annonça le décès de sa mère, un an après la mort de son père.
Le temps n’était pas aux fioritures. A nos âges et au nom de cette longue amitié, il faut savoir se parler juste. Je ne voulais pas lui adresser des mots de convenance. Le partage sincère d’une réflexion personnelle me semblait légitime. Je tapais alors un mail sur le ressenti des orphelins tardifs.
Fernanda,
Il y a le temps de la mort, puis du deuil puis de l’absence.
Je sais ; tu sais, ce que c’est de perdre un parent.
Je partage ta douleur et celles de tes sœurs avec le décès de votre mère.
Ton message sms est arrivé à un moment ou je supprimais tous les spam comportant le mot Covid. Ce n’est qu’après coup que j’ai compris que cela venait de toi. Désolé du retard à répondre à ton message de partage.
Je pressens que tu es capable de surmonter cette épreuve que nous redoutons mais à laquelle nous nous attendons naturellement dès que l’on entre dans nos tranches d’âge.
Cela n’enlève rien à la tristesse et à l’intensité de notre peine. Mais constitue un filtre de raison qui nous empêche de sombrer.
Mais si tu es trop mal en cet instant, laisse tomber la lecture de ce qui suit. Tu reprendras plus tard.
Bien amicalement à toi et tes sœurs.
Armando
« Quand j’ai perdu mes parents, comme toi, à un an de distance, je me suis interrogé sur diverses choses. Une réflexion qu’on ne mène que dans ces circonstances ; une fois dans une vie adulte. Pour les enfants évidemment l’orphelinat est d’une autre nature.
Je pense que tu en es là et voulais partager.
Je laisse de côté des constats auxquels on apporte souvent la même réponse. Le fait par exemple que si un des conjoints d’un vieux couple part, l’autre disparaît souvent très vite après (trop), dans une sorte de lâcher prise et de perte de sens.
Non ce qui interpelle, c’est la nature de notre peine, quand on perd ses parents à nos âges.
C’est intime et dépend de nos histoires de vie.
Crescendo : mélancolie, chagrin, peine, tristesse, déchirement, anéantissement…il y a un peu de tout dans ce que l’on ressent.
Si la mélancolie va monter en puissance, elle est bien présente dès le départ quand surgissent les souvenirs. On se détache du moment macabre et l’on extrait de la vision sépulturale, celle de la personne au mieux de sa forme, de son bonheur partagé, en famille, son rayonnement si tendre qui nous irradiait de façon humble et si banale. Le temps nous fera oublier l’inhumation et au travers les photos, les discussions avec nos proches, reviendra massivement le souvenir des jours heureux avec cependant un arrière goût de mélancolie. Celle du temps qui passe et qui nous projette sur la fin de notre propre vie.
Le chagrin est d’un autre ordre. Une convention sociale. Ca se partage alors que le reste est personnel. C’est le degré de partage à minima du côté dramatique de la situation. Juste une façon de ressentir ce que peut ressentir la personne qui est frappée par le deuil.
Il a aussi une utilité dans le chao que l’on traverse. Le chagrin fait le lien entre la mélancolie et la peine.
La peine. C’est ce qui est le plus profond dans ces moments là de plus authentique. On ne triche pas avec la peine. Et c’est ce qui durera le plus longtemps. Peut-être même la peine de perdre un être cher sera définitive ; une peine à perpétuité. Il faut composer avec.
Ca fait partie de notre identité avec tous les sentiments que l’on a pu éprouver dans une vie d’être humain ; de l’amour à la jalousie en passant par la plénitude ou la frustration. La peine ne diminue pas ni n’augmente. Son degré est stable. Si elle est petite au départ, elle le restera. Si c’est une grande peine, elle le restera. C’est un sentiment qui se mesure par son intensité à nous marquer quand elle survient. Elle peut être plus intense pour la perte d’un parent par rapport à la disparation de l’autre. Il n’y a pas lieu de culpabiliser. Cela dépend de la valeur du manque affectif qui s’ouvre. Ca dépend de notre histoire avec la personne disparue, de ce qu’elle nous apportait et ne nous apportera plus sous la même forme.
La tristesse est à un niveau encore différent. C’est une peine teintée de mélancolie. Mais je crois que lorsque l’on ressent de la tristesse, c’est davantage sur nous que cette sensation se centre. Cette dimension égoïste, vient du fait que l’on peut parfois se complaire dans sa peine. Un détachement qui repositionne nos valeurs et nos priorités. Une sorte d’état de spleen qui ne parle que de nous. Pas de la personne disparue.
La tristesse tient aussi à une dose de religiosité pour certains. C’est aors une peine sublimée par la croyance que la personne vit encore dans un état de béatitude. Ca module la peine alors.
Déchirement et anéantissement nous accablent. Cela peut surgir sur le moment. Pile à l’instant où l’on prend conscience, où l’on découvre que la personne est morte. Et puis, la gestion de l’enterrement fait retomber cet état.
Si cela dure et tétanise, c’est l’enfant en nous qui est en jeu. L’enfant dans l’adulte que nous sommes qui souffre d’un désespoir et de l’angoisse de devoir maintenant, et sans le savoir vraiment, se débrouiller tout seul. On a jamais fini de grandir. On a jamais assez de ses parents pour nous montrer le chemin. Alors c’est normal d’être anéanti au départ. Et souvent on l’est en fratrie. Comme une portée en pelote qui se réchauffe sans la présence de la mère.
Dans ton immédiat, tout cela se mêle. Il y aussi beaucoup de chose à régler sur un plan matériel. Surtout pour l’ainée.
Je me suis autorisé à t’écrire ces mots pour tenter de maitriser le mal-être de ces moments là. Mais parfois la peine est trop grande et le réconfort attend patiemment le bon moment pour pointer son nez.
Alors j’espère que tu surmonteras cette épreuve et t’embrasse fort. »
Peu de temps après, le téléphone sonna. J’ignorais comment elle avait pris ce mot, qui aurait pu être en décalage avec son malheur. J’attendais avidement qu’elle en parle et fasse écho à ce texte peut être déplacé.
Mais trés vite elle me remercia. La disparition de sa mère malade et grabataire était un soulagement. Y-avait-il une place pour le malheur dans cette grâce; une once de chagrin, une pincée de peine, un soupçon de désespoir dans ce flot pragmatique qui actait que tout était à sa place ?
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