Un Italien à Paris

J’aime bien Paris. J’aime bien Paris, finalement. Les quartiers se suivent sans se ressembler. Question naseaux, c’est flagrant. Je retiens de la rue Cardinet l’odeur de béton d’un immeuble en réfection, et son mélange subtil avec les effluves de rôtisserie d’un resto chinois. Improbable mais marquant. Rien à voir avec les relents de pisse de la rue Lafayette. Enfin bon, me voilà à l’hôtel Fromentin. Désuet à souhait, mais depuis la chambre 62, la vue sur le Sacré-Cœur semble irréelle, pour qui débarque de la plaine de Pontedera.

J’ai faim. Je sors.

Je ne vais pas tenter un resto italien ici. J’ai trouvé. Dîner façon « cuisine maison » face au Moulin Rouge. Les spots d’un rouge insolent donnent une teinte de pute au carrefour. La serveuse de dos ressemble à un Lautrec, avec ses épaules nues marquées d’un tatouage et son chignon brun qui libère la souplesse de sa nuque de danseuse. Dans la rue, des étrangers piétinent l’asphalte pluvieux. Il n’y a que les étrangers qui rigolent en regardant les vitrines pornos du boulevard. Les autres passent sans moufter, soit parce qu’ils passent là tous les soirs, soit parce que cet air dégagé dissimule un client qui va vendre sa perversité en cachette. Je me dis qu’étant à Pigalle, il y a peut-être un souteneur dans ce resto bruyant. Je dévisage. Peut-être ce grand métis costaud en costard soyeux qui vient de se lever pour les chiottes. Ou celui-là, le quinqua en polo baskets qui n’a l’air de rien et qui, justement, a l’air de tout.

Le patron est tonique. Il dégaine aussi vite une petite blague au client que son terminal de paiement.

Des femmes mûres rient goulûment. C’est normal, près du cabaret mythique.

Quelques jeunes viennent se perdre ici, mais la carte est un peu chère. Une bière au bar, et les tourtereaux vont s’isoler en terrasse sous le store détrempé qui retient quand même la pluie de la nuit.

Une harde délicieuse de femmes girafes vient d’entrer, et rejoint une quatrième qui les attend au zinc. Elles sont grandes et belles et le savent. Des danseuses du Lido. La serveuse, si mignonne, semble un peu boudinée maintenant. Ce n’est pas juste, et je me dis qu’il y a une densité hors norme de belles femmes dans ce resto. Pigalle est bien le biotope de la femme omniprésente dans ce quartier voué aux plaisirs et au labeur de la nuit.

Je repartirais demain vers Pontedera. Et plus tard, laissant les jours passer, assis au bord de l’Era, je relierais ces notes, pour me fredonner Paris Pigalle en silence rouge et mouillé.

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