Nu, l’autre pareil.

Ce matin-là, je décidais de ne pas m’habiller. De ne plus me vêtir.

Comme beaucoup, je dors nu, et, en temps normal, je prends mon déjeuner comme ça, jusqu’à ce qu’au sortir de ma douche, je revête mes habits de « bonhomme de bureau ». Mais aujourd’hui, je n’en ai pas envie. Je veux rester libre de mes mouvements, et après tout, me montrer comme je suis. Ni pire, ni mieux qu’un autre. Un mec. C’est tout. Et ce n’est pas pour dire, mais on était en juin. Et objectivement, en y repensant, je n’aurai peut-être pas pris la même décision en février. Mais bon, c’est comme ça. On était le 18 juin, et l’appel du général n’était pas forcément une coïncidence. On ne soupçonne jamais assez le pouvoir subliminal de France info le matin, quand on émerge à peine de sa nuit. Le fait est là : ce matin, je me pointe à poil au bureau.

Je travaille au siège d’une compagnie d’assurance. Autant vous dire, que le dress code est assez rigide. Mais ma réelle appréhension, pour le moment, ne se situait pas à la Défense. C’est pile-poil quand je tournais le verrou pour sortir sur le pallier, que ça m’a pris. En me voyant, comme ça en tenue d’Adam, dans le miroir de l’entrée, le sboub pendant, avec mon portable sous le bras, l’air sérieux du type qui feint de ne pas se sentir ridicule, que j’ai explosé de rire. Quel con ! Et c’est avec ce sourire de malice, que j’ai refermé la porte de l’appartement. Je m’amusais moi-même de moi-même. C’est déjà ça. Mais bon, les autres seraient-ils aussi sensibles à l’humour de la situation. Je n’en étais vraiment pas certain.

J’atteignis l’entrée du métro facilement. C’est à 50 mètres. J’ai bien croisé le regard de quelques passants, mais je fonçais m’engouffrer dans l’escalator sans prendre le temps de capter les commentaires que l’on faisait derrière moi. La cohue du matin me dissimulait aux caméras de quai, et dans la voiture, serrés comme des maquereaux, je m’agrippais à l’aluminium, au milieu d’un petit groupe masculin. Les femmes m’avaient bien vu, et avaient jugé bon de s’éloigner, de ce qui devait leur apparaître comme un malade, voire un sadique. Dans ma tenue, j’étais certain de ne pas attirer de pickpockets. Cette pensée me fit sourire à nouveau.

Dans un flot de reflux, je suivis le courant des passagers descendants, qui jaillirent en masse, sur le parvis des immeubles. Ça jasait de partout. Les gens déviaient de leur trajectoire habituelle, et tel le mage et la mer Rouge, le chemin se traçait face à moi, en laissant de côté des mecs qui se marraient. Deux vigiles de la tour B, se mirent à courir vers moi en gueulant tels des chiens policiers. Je forçais le pas et pu leur échapper en pénétrant dans le hall de marbre de la Compagnie Suisse de bancassurance. Les hôtesses n’eurent pas le temps de refermer la bouche, que d’un coup de badge, l’ascenseur me montait au troisième.

Je n’avais jamais remarqué comme la moquette était douce sous la plante de nos pieds. À pas de velours, je progressais jusqu’à l’open space. J’étais un chat ce matin. Un chat du Mexique.

Les personnes agglutinées autour du distributeur de café, m’avaient suivi sans discrétion, et écrasaient leurs bouilles sur la baie vitrée, pour mieux comprendre la situation. Dans l’espace de travail, les collègues semblaient interloqués. Je faisais mine de rien, saluais d’un coup de tête chacun d’entre eux, et ouvris la session de mon ordinateur pour démarrer ma journée, comme d’habitude.

Au bout d’un court temps, Stéphane me demanda ce qui se passait, si j’étais mal. Je voulus lui répondre mais la DRH poussa la porte, et m’intima de la suivre sur-le-champ.

L’inédit de la situation la perturba. Un entretien, peut-il être sérieux quand le salarié est à poil ?

Elle me regarda, comme ça un long moment, comme pour se délecter d’une situation hors norme, qu’elle ne rencontrerait peut-être plus jamais, dans sa carrière de manageuse. Je ne disais rien jusqu’à ce que j’éprouvasse le besoin de lui adresser un « quelque chose ne va pas ? ». La surprise la désarma et elle partit dans un fou rire incontrôlable. Et pendant qu’elle riait, je tentais de lui apporter des éléments objectifs, susceptibles de la ramener à son rôle et à son statut. Je lui parlais de liberté, d’envie de vivre, d’abolition des convenances, de ras-le-bol des dogmes que nous imposent la société, de qualité de vie au travail, de respect des personnes et de lutte contre les discriminations. Après tout, ce qui importe au travail, ce sont les compétences, rien que les compétences. Peu importe que le salarié soit foncé de peau, ou la salariée musulmane. Nous restâmes presque la matinée à échanger. On sentait derrière les parois du bureau fermé, l’agitation de tout le peuple du troisième étage. La journée ne serait pas propice à la productivité.

Vous vous demandez comment cela s’est terminé ? C’est bien normal.

Et bien, vers midi, j’ouvris la porte du bureau pour sortir le premier, et me diriger vers la lueur de l’écran de mon pc. Et dans mes pas, la Directrice des Ressources Humaines de la Compagnie Suisse de bancassurance de la Tour C de la défense, en fit de même, totalement nue.

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